Les données, enjeu majeur des smart grids

data_new_medDepuis les années 2000, le domaine énergétique et plus particulièrement le secteur électrique, est en pleine mutation. En effet, les questions environnementales et la raréfaction des ressources naturelles fossiles ont amené à réfléchir autrement quant aux modes de consommation d’énergie. La complexité de ce nouveau défi impose de considérer une diversité des solutions, chaque solution prise à part ne permettant pas en soi d’adresser la situation. L’un des axes d’amélioration est de modifier la façon de réguler l’équilibre production/consommation en ne se préoccupant plus uniquement de l’ajustement de la production vis-à-vis de la consommation, mais en régulant la consommation elle-même par exemple. Pour répondre à ce besoin naissant, les réseaux électriques doivent devenir plus communicants. Ils  bénéficient pour cela de l’essor des Nouvelles Technologies d’Information et de Communication (NTIC) qui permettront de générer et d’échanger entre les acteurs du réseau de nombreuses données, pour la plupart nouvelles dans le domaine de l’électricité. Quelles sont ces nouvelles données et que décrivent-elles ?

Les évolutions des réseaux électriques à plusieurs niveaux

Penchons nous tout d’abord sur les évolutions des réseaux électriques. En 2014, les réseaux français HTB sont déjà intelligents (HTB1 haute tension, et HTB2 très haute tension), via l’automatisation des 2200[1] postes de transformation HTB/HTA, et l’installation de capteurs sur le terrain qui assurent l’observabilité des 100 000 km de lignes. En revanche sur le réseau de distribution,  on compte 755 000[2] postes HTA/BT (moyenne et basse tension) et 1,3 millions de kilomètres de lignes – si bien que l’automatisation avancée et l’observabilité fine du réseau de distribution se traduit par des investissements plus importants, et des feuilles de route beaucoup plus longues. Ces investissements ne sont pas optionnels si l’on veut désormais pouvoir agir sur la consommation électrique : les postes HTA/BT seront enrichis de postes  asservis communicants  qui permettent en particulier de réaliser des manœuvres d’ouverture et/ou de fermeture à partir d’un poste de conduite éloigné[3]; des capteurs autonomes seront installés en certains points clés du réseau, afin de connaître plus finement des grandeurs physiques comme l’intensité, la puissance ou la tension. Il sera ainsi possible d’en déduire les flux transitant à chaque instant sur ces réseaux.
Les systèmes de comptage intelligent ensuite permettent aux producteurs d’électricité connectés aux réseaux HTA et BT, ainsi qu’aux sites de stockage de mesurer en temps réel les volumes d’énergie produite ou stockée, afin par exemple d’optimiser les systèmes hybrides production/stockage.
A une maille encore inférieure, le réseau BT  se modifie complètement avec l’arrivée des compteurs communicants chez les consommateurs, fournissant des données de consommation en temps réel ou quasi réel (contre, traditionnellement, des estimations). Ils permettent aussi le comptage sur plusieurs index de consommation et de production, et facilitent ainsi l’arrivée d’offres tarifaires évoluées, et de la production distribuée.

Globalement les réseaux électriques font l’objet d’une instrumentation plus forte, génératrice de données nouvelles, et de flux de données importants, qui en permettent une meilleure observabilité. Mais ces évolutions des réseaux électriques ne sont pas les seules à apporter leurs données nouvelles. En effet de nouveaux services à l’énergie, au caractère encore plus novateur, apparaissent également.

Des nouveaux usages

  • Les véhicules électriques par exemple, intriguent particulièrement les médias et le grand public, et impactent considérablement la structure du réseau, et le niveau d’instrumentation nécessaire. Les informations qu’il est nécessaire sur suivre  concernent notamment le niveau de charge des batteries, l’état en temps-réel du parc de recharge, le potentiel permis par le stockage du parc de véhicule, ainsi que des recommandations pour le mode de recharge suivant l’état du réseau électrique (période de stress vs. période creuse).
    Outre les véhicules électriques, d’autres nouveaux acteurs et services apparaissent, et avec eux d’autres besoins d’intelligence de l’électricité.
  • Les vendeurs d’energy box récupèrent des données de consommation fines au niveau des bâtiments, afin d’aider le consommateur à mieux maîtriser sa demande en énergie, en lui proposant des ajustements d’usage, ou comment « mieux consommer ».
  • Les agrégateurs d’effacements permettent de valoriser les effacements diffus en période critique pour l’équilibre production/consommation. Ils doivent donc connaître l’état du réseau pour pouvoir proposer des effacements sur le marché NEBEF (Notification Echanges de Blocs d’Effacement).
  • Les fournisseurs d’électricité doivent pouvoir accéder à certaines informations sur l’état du réseau (notamment les niveaux de contrainte), afin de pouvoir proposer une tarification dynamique à leurs clients, permettant de moduler par la consommation ces niveaux de contraintes.

Si elles sont bien exploitées et gouvernées, les données générées représentent de véritables gisements de valeur pour tous ces nouveaux acteurs du système électrique. Une observabilité fine est indispensable pour une meilleure gestion des réseaux, et il en va de sa sécurité. Or l’observabilité n’a de sens que si elle est complète, et qu’elle s’appuie donc sur l’intégration de toutes ces sources.  Ce croisement de données multiples  permettra d’en déduire les informations les plus pertinentes et les plus justes pour les différents métiers du système électrique. Ainsi ils pourront agir avec une très bonne connaissance de la situation.  Il est donc critique de mettre en place une gouvernance des données cohérente, efficace,  et opérante : c’est l’un des enjeux majeurs des smart grids. Selon un sondage mené par Accenture[4], plus de 80% des cadres de services publics interrogés pensent qu’il est, entre autres, impératif pour le bon déploiement des smart grids, d’évoluer en matière de gouvernance des données : « (…) Plus de 80 % reconnaissent avoir encore des progrès à accomplir dans la gouvernance et l’intégration de données(…) ».

Caractéristiques des données

Les données citées  sont de nature hétérogène, sont volumineuses, et sont collectées et traitées selon des modalités variables (temps réel, temps différé).
Du fait des volumes croissants de données à collecter, traiter, stocker, et partager, la complexité des processus croît elle aussi, et soulève le besoin de nouveaux outils et procédés. Nous parlons désormais de Big Data, ainsi que de Fast Data[5] (une volumétrie importante et des données qu’il faut traiter rapidement).  Plus généralement, un rapport IBM estime un total de  2,5 trillions d’octets de données générées chaque jour. Si bien qu’aujourd’hui 90% des données existantes ont été créées entre 2012 et 2014[6]. Les réseaux électriques n’échappent pas à cette tendance.
Pour ce qui est du traitement,  la volonté est de récupérer et traiter les données ciblées dans des laps de temps contraints, en consistance avec la diversité des types de données et des exigences de traitement. Certaines données ne nécessitent pas forcément un traitement immédiat, c’est par exemple le cas des données de qualité de fourniture (toutes les données relatives à la continuité d’alimentation, qualité de l’onde de tension et qualité de service) ; alors que les alertes remontant du terrain doivent pouvoir être traitées rapidement.
Outre les données décrivant les systèmes physiques, considérées comme des données de patrimoine et stockées dans les bases de données des gestionnaires de réseaux, existent aussi les données dites non structurées. Ces dernières désignent par exemple des données sensibles et donc relatives à la vie privée : des données de consommation des équipements électriques des clients ; des données d’exploitation en lien avec la maintenance, l’entretien et le dépannage des réseaux ; ou d’autres données ponctuelles telles que les alertes en cas d’incidents. Ces données à caractère sensible et/ou personnel impliquent des exigences fortes en matière de sécurisation. L’un des enjeux majeurs du projet phare de smart metering d’ErDF (Linky) a d’ailleurs été la sécurisation autour de la donnée pour le respect des informations personnelles et privées.

Aujourd’hui la gestion des données est devenue plus complexe, avec une instrumentation en amont comme en aval du compteur, chez les acteurs historiques comme chez les nouveaux acteurs du système électrique. La gouvernance est un enjeu primordial pour que les données soient utilisées de façon la plus optimisée possible, ainsi que la mise en place d’outils et de process performants et adaptés à ces nouvelles données. La sécurisation des données est l’un des enjeux majeurs des smart grids. Cela représente beaucoup d’efforts mais ces efforts sont nécessaires, car ils conduiront à un enrichissement majeur de l’écosystème énergétique (meilleure intégration des énergies renouvelables, mise en place de nouveaux marchés…), et le consommateur pourra se sentir plus responsable de sa consommation en devenant un consom’acteur.

 

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Eva-Obdulia GARCIA
Analyste – Yele Consulting

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